Renée Brock, Maternité, in Possibles, n° 7, avril 2016

Renée Brock, Maternité [fin]
repris de Poème du sang, Laffont, 1949 [épuisé]

BrockTu as dormi sur mon bras nu.
en voulant caresser ton front
sous lequel se soudaient déjà
les anciens et les nouveaux univers,
mon ongle t’a griffé.
Tu as gémi, tu as pleuré
Tes premières larmes.
Et j’ai su la douleur.

Tu as fait tes premiers pas
sur le fil de cristal de la vie,
donné à la lumière et à l’air l’équilibre.
Tu as gagné traîtreusement vite
l’âge de l’école.
Tu es parti tout seul
Dans ton petit paletot de destin.
Et j’ai su la déroute.
Un soir la maladie est venue
Avec sa sur la fièvre.
L’ange doux du délire t’a arraché
à mes bras, à mon sang, à mon cœur, à ma pensée.
J’ai vu se tisser autour de moi
des ténèbres remplies d’yeux ouverts
qui me regardaient fixement.
Yeux, les raisins pelés
au bord de la fenêtre dans un soleil impie,
yeux glauques, yeux crevés,
yeux de l’inexistence.
Ô l’angoisse de la bête au dernier jour du monde !
Et j’ai su la peur.

Tu as grandi,
jeune dieu des jardins et de la forêt.
J’ai suivi tes clameurs, tes chutes, tes victoires.
J’ai suivi tes muscles se développant
sous leur enveloppe de peau douce-brunie.
J’ai suivi ta souplesse de faon
harmonisée à l’espace.
J’ai suivi ta fraternité
avec l’arbre, l’oiseau, la neige, la lumière.
Et j’ai su l’orgueil.

Tu as posé librement
dans mes yeux angoissés
tes yeux qui allaient mentir :
et tu m’as dit les mensonges véniels.
Mais il n’y a pas de mensonge véniel.
Et j’ai su la peine.

Et bientôt, homme,
tu partiras sur le chemin des hommes.
Et je sais
que je saurai ma mort.

[La première moitié de ce poème est dans le précédent numéro]

Poéte belge, Renée Brock [1912-1980], « la Marcelline Desbordes-Valmore de notre XXème siècle », selon Jean Breton, est la mère, l’amoureuse, la solitaire. Peu d’écrivains ont chanté aussi justement que cette poète de Liège la maternité, la naissance, l’enfance et l’intimité familiale. Présente au sein de la revue Les Hommes sans épaules, Renée Brock est notamment l’un des « Porteurs de Feu » du n° 1, 3ème série, 1997. À lire : Poésies complètes, éd. Saint-Germain-des-Prés, 1982, L’Étoile Révolte, Cherche midi éditeur, 1984, Le Temps unique, éd. Saint-Germain-des-Prés, 1986, Les Bleus de la nuit, Le Milieu du Jour, 1990. On peut lire quatre autres poèmes en pdf.

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