Yves Martin avec Pierre Perrin, entretien I, in Possibles, n° 7, avril 2016

Yves Martin, Entretien [Incipit]
Hier : Reprise du n° 18-19, 30 juin 1979

couv. PossiblesJe suis venu à la poésie, au poème vers l’âge de seize ans. Avant cet âge, il me souvient que j’avais une certaine aversion pour la poésie. Cette aversion devait être assez superficielle puisque j’étais tombé littéralement amoureux des romans de François Mauriac qui seraient conventionnels sans l’atmosphère poétique. À douze ans, Le Sagouin, c’était presque moi. D’ailleurs, de douze à quinze ans, j’ai écrit de nombreux petits romans, des récits qui étaient des décalques du monde mauriacien avec en plus ce qui m’était personnel. J’ai en mémoire de façon précise la circonstance qui me conduisit à écrire mon premier poème. C’était à l’étude su soir, au collège, après la lecture d’un poème de Péguy qui m’avait bouleversé. C’est d’ailleurs la seule fois de ma vie où un poème de cet auteur m’ait ému. En fait, ce fut plutôt un exercice, puisque je me contentais de changer quelques mots et de monter tout de suite mon plagiat à mon voisin de banc qui approuva, ne voulant sans doute pas me vexer. Quelques mois après, je tombais tuberculeux. C’est vraiment à cette époque que naquit mon intérêt pour la poésie. C’est à Saint-Gervais, en préventorium, et au plateau d’Assy, et grâce à certaines rencontres que je devins poète. Ce que j’ai pu écrire avant de trouver un ton, quelque chose qui me ressemble, ce que j’ai pu souffrir et grincer des dents, c’est difficilement explicable, il faut être passé par là. Sur ce travail de chrysalide, les poètes sont relativement discrets et ils ont tort. Certains se trouvent facilement. Ce ne fut pas mon cas.

Qu’est-ce que la poésie ? Pour être sincère, je n’en sais pas plus sur ce sujet que le commun des mortels qui ne la pratique pas. J’imagine assez le mystère du monde comme une paroi. Parfois de cette paroi, s’échappe quelque chose d’indéfinissable dont quelques-uns sont les dépositaires. Plus je vieillis, plus je suis persuadé du caractère sacré de la poésie et ce, à tous les niveaux, et je crois que c’est à la fois terrible et merveilleux d’être le porteur de cet étrange trésor. Je suis persuadé que l’on ne sort pas indemne de la poésie. Tôt ou tard elle a votre peau. Trop de poètes pensent naïvement pouvoir trouver là quelque bonheur ou quelque souffrance merveilleusement indéite. En fait, la poésie, c’est le transport de cette fameuse chose inexplicable d’un point à un autre, sans qu’il soit possible pour les coolies que nous sommes de poser des questions, d’obtenir des réponses. C’est pourquoi nous devons être particulièrement modeste et savoir qu’à n’importe quel moment ce privilère, cette fontion peuvent nous être retirés[…] [Un second extrait dans le prochain numéro, le 5 mai…]

Yves Martin, Interview [première partie/5], Hôpital Rothschild, octobre 1978
parue dans Possibles, “Spécial Yves Martin” n°18-19, 2ème trimestre 1979


Invitation : Renée Brock, Maternité —>

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