- Menu Possibles, nouvelle série n° 6, mars 2016
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Annie Salager, La Vie est un rêve
repris de Des mondes en naissance, La rumeur libre éditions, 2015
Beaux visages du vivre, tout l’amour va vers vous, un seul nom lui ressemble. Terra nostra
La Vie est un rêve
Il y eut une brève période où, quand elle traversait la place Bellecour, elle était sûre que les gens ne la voyaient pas puisqu’elle était transparente, très jeune femme mariée qui se pensait heureuse. Personne ne la voyait parce que… non, elle ne savait pas pourquoi, mais de n’exister pas la reposait, était extraordinairement juste, ils étaient dans le vrai les passants, elle glissait au milieu d’eux comme un nuage, comme un rêve. Où elle était, elle n’était pas, c’était bien. Adaptée, croyait-elle, ou inadaptée, c’était ça la vie sûrement. Sensation d’être invisible, ou d’être une vitre fragile où s’embrouillait un droit à exister, mais elle savait bien qu’elle n’était pas une vitre. Il n’y avait rien derrière sa transparence, aussi personne ne pouvait la voir, il y avait juste ce rien qu’elle était, et elle obéissait à la négation docile. Sur cette grande place, l’espace ressemblait à de la vie adhérant aux passants adultes, raisonnables, avec des projets, des occupations nombreuses, ils se reconnaissaient, ils parlaient entre eux, les hommes se tapaient sur l’épaule, riaient. Elle aimait bien, légèrement étourdie de leur bruit et d’espace, de mouvements, de lignes en marche. C’était juste en traversant la place, ça n’allait pas durer, elle cesserait d’être transparente, ce serait aussitôt oublié à la maison, dès qu’elle aurait quelqu’un à qui parler pour tenir fermement son rôle de jeune vivante.
Annie Salager, extrait Des mondes en naissances, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur