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Marie-Christine Brière, Les Chats d’Europe
Reprise de Possibles n° 15, 3ème trimestre 1978
Les chats d’Europe, tous les chats, tous les animaux domestiqués qui regardent, effarés, jaloux, / résignations / tropismes/ galops de génie sur un tapis immobile / l’amour de leurs trop douces maîtresses. Les cris des chats d’Europe en amour dans le chantier [et Thérèse [*] leur envoyait du mou par-dessus la barrière]… Le panier à chat : lié à l’amour passif de Cavaléra, soldate d’Israël et de la Palestine perdue : le panier grince dans l’amour, ta tête super-bouclée se penche d’un côté de l’autre. Panier à tête non guillotinée, panier pratique où je te prends, et le rythme fatal de l’osier plié souligne une mécanique du plaisir qui nous fait rire. Sur tes seins à la pointe très brûnâtre, trois imperceptibles vergetures m’émerveillent comme au coin de tes yeux, tends-les moi encore, comme des orangeraies vues d’en haut à la Comédie Française, tes yeux se maquillent de fatigue d’amour subitement, khôl satiné. Des ouvriers chantent sur la verrière, engouffrent des canons de rouge, des copropriétaires s’engueulent pour la première rencontre de leur vie.
Dehors, mes comptoirs, mes cafés, des mecs pressés qui s’en jettent un, tout mon temps, je jouis debout du monde qui m’a mise là, cette minute très exactement. « Tu parles comme dans Tchékov – non, je suis sortie pour rentrer avec mille forces, te massacrer en douceur et tout et tout. Te dire. »
Mais tout vient ma Cavaléra, un sexe n’en cache pas et n’en égale pas un autre. Lobé, affolé, acuminé, éperonné, duveteux, unciné (au ciné), tubuleux, paléacé, soyeux, fenestré, comme les caractères des plantes, comparé jusqu’à l’épuisement à tout l’exotisme des fleurs je n’en choisis aucune pour le moment, je lui demande une exhibition partiale, une grâce spéciale : ne le tiens pas aplati contre un slip même élicat, ne l’ouvre pas, couronné comme dans une chirurgie, un territoire blessé, mais laisse-le n’en plus finir de se dresser, sécher si vite, le pistil engoncé dans tes jeans. D’ailleurs tu mets rarement un slip et je trouve ça cruel, cependant son léger avachissement me bouleverse, tant de force enfantine en lui… Et en haut pourtant une femme, Go West Go West – c’est écrit sur mes bottes renversées – tu chemines vers des enfants dans les rues, tu engloutis vingt passantes en secouant tes boucles, les paires de gants nées du salons n’en peuvent plus, le salon s’évapore à l’aube, tu relèves tes tuyaux de jeans te repars avec les saltimbanques, vieille branche, bohémienne pas mienne qui fut mienne.
Les lèvres me piquent de ta cyprine, tu as trop serré ma tête sur ton con, il faut bien appeler un chat un chat. Tu as l’air désespérée de l’amour habituel : celui qui est aussi aux autres. Déjà tu es à plus tard, quand tu vas dans les bois en spectatrice, seule, t’étendre nue sur ta couverture qui gatte. […] Cavéléra, il y a toujours une colline qui attend, un arbre pour ce con parfait, qui donne mais reçoit plus encore, une montagne pour recevoir ton rituel ennui. Des femmes, mes amies, courent, les bras tendus, vers toi. Mais tu as changé de voiture, rencontré une vieille amie, retrouvé ta mère ; mes amies piétinent l’herbe de désir de toi et leur impatience ne s’entend pas.
Marie-Christine Brière, in Possibles n° 15, 3ème trimestre 1978
[*] Thérèse Plantier, poète à qui le n° 5 de Possibles, 2ème trimestre 1976, fut entièrement consacré. Marie-Christine Brière lui a rendu témoignage en dirigeant le n° spécial 36 de la revue Les Hommes sans Épaules. Elle a personnellement publié sept volumes, le dernier Cœur passager en 2013. La gravure reproduite ci-dessus vient de La Naissance recommencée, poème accompagné de cinq gravures de Philippe Debiève, La Truite qui Trotte éditeur, [tirage limité, épuisé], 1994.