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Marilyne Bertoncini, deux extraits
“Découverte” de Possibles n° 5 [février 2016]
La Nuit de Lilas [extrait]
J’ai vu tes yeux, Leyla, dans l’ombre du volet
Tandis que s’enroulait la voix des tourterelles
Dans le matin couleur de leur plumage rose
Le soleil au reflet de la vitre s’est pris
Pour se jouer de moi
La voix qui me torture est semblable à la tienne
Lorsque joyeux ton chant s’élève à la fontaine
Murmure frémissant comme l’eau jaillissante
Mais l’oiseau au collier dans un battement d’ailes
A chassé l’illusion
Et je t’ai vue, Leyla, comme une ombre t’enfuir
À travers le verger bondissant
Dans les voiles légers des nuages de mai
Mais le vent qui passait faisait danser les branches
Et rien de toi, ici, ce matin n’est resté
Roi-cerf, final
Meute de mes années repaissez-vous de moi
j’ai de mon sabot d’or fait jaillir les étoiles
ma danse vagabonde organise le monde
et la gloire où me mène l’amble de mon pas
illumine le gouffre où me porte la Roue Solaire
à mi-parcours
[…]
Ô votre humide haleine attachée à mes traces
meute de mes années
toujours me déchirant mes Ménades intimes
le poignet tatoué du beau signe de mort
et railleuses toujours mes pensées
avec vous et les abois cendreux de l’infernale meute
rouges oreilles dressées comme tisons ardents
dans les frondes des mots mes ramures se prennent
en entraînant mes songes.
Marilyne Bertoncini, Labyrinthe des nuits, Recours au poème, 2015.
Marilyne Bertoncini, à la recherche de soi dans son Labyrinthe des nuits, sait regarder comme personne la nature. Dès le premier poème, “La Nuit de Lilas”, un lever de soleil, un jour entier, dans ses synesthésies, l’éclat d’un lilas justement, tout ce que le monde offre d’éphémères et que, faute d’attention, on regarde si peu, nourrit à travers ses pages plus qu’une empreinte, une fragrance, un pétale de l’être qui écrit d’une écriture en plénitude. « Le soleil au reflet de la vitre s’est pris / Pour se jouer de moi ». Un amour manque, peut-être, ici magnifiquement nommé Leyla, mais qui est peut-être la Vie elle-même, appelée doucement, un peu plus avant : « Tu es l’éclat pers qui soulève la paupière du ciel » en même temps qu’on se demande où est le partage du présent et de la mémoire, tant les jeux s’avèrent subtils « sous la paupière de la nuit ciliée de songes ». Le deuxième poème, “Roi-cerf”, ne propose-t-il pas un tendre hallali : « Meute de mes années repaissez-vous de moi », mais qui monte vers un toujours autre univers, par degré, en un rêve une fois de plus fécond : « la musique est ce souffle qui enfle ta voilure et le flot qui t’emporte », de sorte qu’en vérité chaque poème crée le labyrinthe pour mieux le dissoudre derrière lui. Le quatrième et dernier poème, au titre ici traduit, on ne peut plus judicieux, “destinataire inconnu à cette adresse”, interroge ce qu’il peut bien rester après la mort. On est dans, et au-delà du songe, ou plutôt le songe convoqué est enraciné dans des faits concrets : un goéland « dépeçant l’oiseau mort que tu n’avais pas vu » fait que « moqueuse la mort t’entraîne sur la courbe du monde. » Ainsi Marilyne Bertoncini, qui partage sa vie entre Nice et Parme et qu’on peut retrouver sur son blog où dialoguent textes et photos en cours d’élaboration, offre une poésie qui dit notre rapport au monde avec une écriture charnelle, moderne et presque classique à la fois, toujours parfaitement maîtrisée. C’est un grand plaisir de lecture qu’offre ce Labyrinthe des nuits, au service d’une authentique élévation de l’esprit. – Pierre Perrin, note de lecture du 16 décembre 2015.