Michel Baglin in Possibles, nouvelle série n° 5, févier 2016

Michel Baglin, Humus, inédit

Quand l’érosion fait de la roche du sable, quand le sable s’alourdit de cadavres, se dire que la Terre néanmoins s’enrichit.

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Chaque jour fouler le sol, le réceptacle de l’éphémère et de l’éternité, le lit des métamorphoses.

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La faune fouisseuse y brouille ce qui tombe et repose, le palimpseste des feuilles et des herbes.

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Le passé lentement s’y décompose, lentement vers, microbes et bactéries y puisent l’aliment de leur grand-œuvre, la gestation du végétal futur.

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L’humus est la nurserie. L’organique s’y réorganise, se fractionne et se multiplie. Excréments et champignons, air et pluie, y collaborent à l’inépuisable renaissance. Et les morts et les vifs.

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Le minéral y poudroie, le soleil y fermente. Un regain s’y prépare.

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L’humus est gros de promesses. Chaque particule de cette poussière fertile est grain de beauté, aubaine d’une graine.

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Pour combien de mortels contempler l’humus constitue-il, sourdement, la seule et plus sûre consolation ?

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Mais sous les roues des tracteurs, l’humus compacté n’est plus un berceau végétal. Au ras des pâquerettes, on regrette les bœufs et les chevaux, leur crottin et leurs bouses.

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Le sol est cette source que les pesticides polluent, qu’un effréné labour étouffe, que l’engrais de la productivité tarit.

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Le lessivage des pluies qui suit les grands remembrements fait table rase de la terre que des générations se sont jadis éreintées à remonter sur le flanc des collines. L’industrie agricole, parce qu’elle sait désormais s’en passer, hors sol, la méprise. Seuls les paysans la pleurent. Mais en reste-il ?

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Le respect des hommes ne devrait-il pas commencer là, pourtant ? Dans l’humus, où la mort donne la vie.

Michel Baglin, inédit

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