Adonis lu par Michel Leuba in Possibles, n° 5, févier 2016

Michel Leuba, Soufisme et surréalisme d’Adonis
Essai traduit de l’arabe par Bénédicte Letellier, éditions de La Différence, 2016


couverture AdonisOn reconnaît la qualité d’une âme à sa volonté d’assumer totalement ses potentialités. Ali Ahmed Saïd Esber [*], jeune fellah de Quassibine imposant la lecture de ses poèmes, dès 1947 au Président syrien, en a fait une première démonstration. Son énergie d’alors fera de lui un boursier, un étudiant en philosophie et surtout un poète aujourd’hui connu dans de nombreux pays sous le nom d’Adonis.

Soufisme et surréalisme, publié en arabe en 1992, se présente sous la forme d’un dialogue imaginaire et théorique. Adonis rappelle que « pour Aragon, comme pour Éluard, l’automatisme ne suffit pas, il faut pratiquer une poétique consciente, maîtrisée et remettre en forme ce que “donne” l’écriture automatique. “J’exige que les rêves qu’on me fait lire soient écrits en bon français” disait Aragon », et Adonis de poursuivre : « la fonction de la littérature ne consiste pas à créer de beaux textes en soi et pour soi. Il s’agit plutôt de créer une puissance magnétique et magique, de concrétiser la transformation et d’établir un lien lumineux entre, d’une part, les profondeurs inconnues en l’homme et, d’autre part, dans l’univers. Ainsi, pour le surréaliste comme pour le soufi, tel est le principal : le dévoilement, non le beau. Car le dévoilement est en soi le beau. »

Au fil des thèmes abordés, Adonis traite des échos infinis d’une reconquête des libertés originelles sur les espaces annexés par les dogmes religieux et la raison occidentale. Rapprocher ainsi le soufisme – une station de l’excellence en Islam, cœur du cœur d’une mystique immanente – et le surréalisme athée – avide d’inconscient, de rêve et d’expansion du moi – semble une gageure. En l’occurrence, elle est réussie. Car écarter les contraintes des textes juridico-islamiques et les règles rationnelles mâtinées de christianisme procède d’une même volonté de liberté. Là, dans l’alchimie de l’expression, réside le secret de la communion de ce soufisme et de ce surréalisme-là.

Il ne faut donc pas avoir peur de lire cet ouvrage de 288 pages. La traduction de Bénédicte Letellier en rend l’approche à la fois instructive et attrayante. Si des puristes des deux bords venaient à prendre ombrages de ces réflexions, ils feraient bien de se raviser. Dans l’absolu, la droite illimitée s’identifiant au point, le silence éternel des espaces infinis ne tend-il pas l’oreille vers une perpétuelle nouveauté ?

Michel Leuba-Ligueta, le 13 janvier 2016 pour Possibles

[*] Adonis est né en 1930 dans le nord de la Syrie. Après des études à l’université de Damas, il s’exile à Beyrouth, où il fonde avec Yûsuf al-Khâl le groupe Chi’r (Poésie) et la revue du même nom. Il a publié une douzaine de recueils de poèmes et plusieurs essais. Adonis a largement contribué à l’invention d’une véritable modernité arabe et à sa reconnaissance en Europe comme aux États-Unis. Il est aujourd’hui, avec Mahmoud Darwich, un des poètes de langue arabe parmi les plus traduits dans le monde. En 2008, il a reçu le prix Max Jacob Étranger. Et il est lauréat du Prix de la Paix Erich Maria Remarque 2015. La Différence a publié de lui : Chronique des branches, 1991 et 2e éd. 2012 ; Célébrations, 2005 ; Printemps arabes. Religion et révolution, 2014.

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