Michel Baglin in Possibles, nouvelle série n° 5, févier 2016

Michel Baglin, deux poèmes
deux inédits : Les Chiens Perrins et Lucidité


Les Chiens Perrins
à Monique et Bernard

île d’yeu © BaglinLe grand phare d’Yeu veille sur son île et ses bocages ensauvagés, ses dunes et ses marais salés, le troupeau des yeuses et des ajoncs. Il retient le trémail des chemins qui se jettent en mer, au moins par l’imagination.
Le grand phare d’Yeu s’épaule à la ville pour parler aux marins. Leur évoquer les maisons blanches de Port-Joinville et l’herbe rase des landes mouillée d’embruns.
Il leur raconte les goélands en bande qui défendent leurs couvées. L’éperon des falaises, de la pointe du But à celle des Corbeaux. Les gouffres dans les failles du granit, les plages douces et les havres cachés.
Phares ou clochers, tous les amers ont des accents de nostalgie pour chanter la terre aux hauturiers. Peindre les haies et les fossés, les fanaux, un Vieux Château. Les bois de pins comme l’ombre sombre des cyprès.
Et pour l’Islais pareillement les houles foulent et brassent les chagrins. À qui en mer s’égare du regard, elles rendent les bateaux perdus. Remettent à flot des histoires d’hommes fragiles tenant à des riens.
Roulés par le raz, drossés sur le roc, ils sont là sans y être, depuis des siècles, et l’on ne peut que deviner ces revenants. Qu’écouter dans le vent les abois des marins noyés dans l’écume rageuse des Chiens Perrins.
Car au ponant, où que l’on soit, on a toujours l’infini loin devant soi. Une tourelle pour baliser les naufrageurs. Une corne de brume dans les oreilles. Pérenne, un récif dans le cœur.

Michel Baglin, Ile d’Yeu, mai 2015, inédit

Lucidité – Quand je vois se prosterner les dévots et qu’impunément se répand le cynisme des marchands de crédulités, je crois entendre mon père répéter que la lucidité est une douleur.
Alors je pense à Char qui la disait la blessure la plus rapprochée du soleil, et je me demande quelle vie s’en éclaire, quelle vie s’en meurtrit, quelle vie en meurt ?
Mon père au pays des ombres sait-il ce qu’il en est, lui qui arrachait les drapeaux des fenêtres des vainqueurs au nom de la paix universelle ?
Au nom de la paix universelle et pour que la lumière ne brûle pas leurs illusions une fois encore quand, une fois encore, on pourrait voir venir derrière les flonflons de la der des der – et les danses de fête et les feux de joie de l’avenir radieux – la première ligne de feu.
La première ligne des soldats et la cohorte des morts à venir, le soleil s’éteignant dans leurs yeux ? – Michel Baglin, inédit.

Michel Baglin, Humus —>

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