Didier Pobel in Possibles, nouvelle série n° 4, janvier 2016

Didier Pobel, Trois poèmes
Reprise d’un poème paru dans Possibles n° 20, 3ème trimestre 1979

Jusqu’à onze heures le brouillard

Didier PobelJusqu’à onze heures le brouillard a progressé à la bougie. Quand il l’a étreinte de sa bouche dure comme un noyau (souffle raide), la poussière a enflé. c’est pour cela : l’après-midi, presque carrée, sous les acacias, parle de l’ordre de ses pierres, de la margelle du puits borgne comme un œuf. L’après-midi d’un coup de sa hanche tiède remercie l’incendie de quinze heures. Plus rien ne suit. Des morceaux de matin demeurent dans les caves : deux ou trois lutins, un carré d’herbe, ma mémoire serrée. On les reconnaîtra demain.

Reprise d’un poème paru dans Possibles n° 20, 3ème trimestre 1979

Cirque silence

Les longs clowns maigres de l’automne partent sur leurs jambes de bois, creusées en flûtes, derrière des élans dérisoires. Leurs paupières se sont levées et, dès leur baluchon bouclé, ont pris le vent de six heures – sans ticket. Près : les labours font du silence, à l’inverse de la terre. Les mottes s’alignent comme les chaises au cirque. Quand l’âme du soir ocre y assiéra ses touches, le spectacle débutera. Les longs clowns maigres de l’automne seront déjà loin sur leurs jambes de bois dépassés par les cuivres des nuages.

L’Éternité ne dure que cinq minutes tous les jours, Fagne éditeur, 1977

Vertige vert [I]

Partir c’est un retour si les yeux sont tournés
là où sont encor les gens, les ventres (la plaine).
Après-midi vibrant couleur des grands-parents
avec des voix sciées par l’acier bleuté des gorges.
Des enfants échangent leur yeux de lait fécond
et dorment sur le pouce arrondi d’un prunier.
Dans cette cour nouée entre quatre arbres gris,
les souvenirs sont des pierres qui essaient l’air :
l’odeur des mots anciens accostés par la toux
d’un buisson, d’une haie dont se moquent les poules.

L’Éternité ne dure que cinq minutes tous les jours, Fagne éditeur, 1977

Didier Pobel, connu pour ses éditoriaux sur Le Dauphiné libéré, a désormais pignon sur son blog. C’est aussi un critique littéraire de qualité. Dans le n° 20 de Possibles du troisième trimestre 1979, intitulé Poètes de 30 ans, il présentait aussi Morale provisoire de Jean Pérol. Il collaborait à Esprit. Il publiera ensuite régulièrement dans La Nouvelle Revue française, dirigée par Jacques Réda, de 1987 à 1995. On peut encore lire de lui, poète, Liaisons intérieures et autres lignes, prix Kowalski 1990, édité et réédité chez Cheyne dans le si beau petit format, ainsi que deux récents volumes de prose, le roman Couleur de rocou, Le Temps qu’il fait, 2012 et Un beau soir l’avenir, récit, La Passe du vent, 2014. – Une anecdote : Vendredi 30 octobre, j’avais saisi et publié sur FB, en clin d’œil amical, le second poème de cette page. Cinq minutes plus tard, une “amie” donnait à voir, sur son blog perso, une page Didier Pobel. Elle avait repris, dans un souffle, ce poème, laissant même la remarque : « seront-ils nombreux ceux qui se souviennent de ». Elle en avait ajouté un autre, repris d’un autre site. La générosité a de ces tours ! [P. P. le 12 décembre 2015]

Invitation sur Poezibao de Florence Trocmé —>

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