Jean-François Mathé in Possibles n° 4 – janvier 2016

Jean-François Mathé, trois poèmes
repris de Le Temps par moments et La Vie atteinte, Rougerie

Sur la mort d’un chat

Je suppose qu’aux yeux des dieux il comptait pour rien ou presque : jamais la main de l’un d’eux n’avait dû le soulever pour mesurer la part qu’il avait dans le poids du monde. Évidemment il n’était qu’un chat, encore trop jeune pour s’asseoir en gardien des seuils mystérieux. Il n’était qu’un saltimbanque, un funambule qui tendait son fil entre n’importe quoi et n’importe où. Évidemment, au dernier instant il s’est débattu contre de l’invisible mais ses yeux sont restés ouverts, ont fixé les nôtres, pour nous prouver que malgré notre impuissance il nous préférait aux dieux.

Jean-François Mathé, Le Temps par moments, Rougerie 1999


Quand j’aurai enfin quitté ce vêtement
qui a voulu devenir ma peau,

tout ce qu’il gardait des pluies
qui s’étaient collées contre moi
quand j’avançais vers jamais de lumière,
toutes les échardes qu’il avait enfermées
entre lui et moi,

quand j’aurai enfin quitté ce vêtement,
c’est que tu m’auras rappelé,
en laissant voyager ta nudité dans la mienne,
les noms des saisons, ceux des oiseaux qui migrent,
ceux des oiseaux qui restent
pour garder le ciel entrouvert.

Tu auras remis sous mes pas
le bon versant du monde
et sur mes épaules
le simple poids de l’air.

Du temps où la joie renversait
au beau milieu des blés
nos cœurs et corps
ensemble éclatés,
la quête de nos saveurs
n’en finissait pas.
Nous allions jusqu’au fond de nos secrets
doux comme des gants
que nous retournions en aveux,
et nous aimions
jusqu’à la fatigue d’aimer,
et tellement au-delà
que je te revois lever la tête
pour boire encore un peu plus ta soif
à même le ciel.

Jean-François Mathé, La Vie atteinte, Rougerie 2014


Jean-François Mathé, inédits —>

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