Découverte : Irène Dubœuf in Possibles n° 4, janvier 2016

Irène Dubœuf, deux inédits
[La page “découverte” de Possibles, nouvelle série n° 4, janvier 2016]

Sur une peinture comme sur toute œuvre vient se faire et se défaire le sens qu’on lui prête. Pierre Soulages

Cendre lissée de vent

Irène DubœufHéritier du silence, du flamboiement de l’ombre, des horizons sans fin, il jette sur la toile la cendre créatrice d’un geste de semeur qui féconde la Terre.
Irréductibles paysages où le passé surgit dans l’étincelle qui enflamme la nuit. Des parcelles de songes nées d’une nymphe et du hasard abritent dans leurs ornières des silhouettes insoupçonnées. Le long de chemins oubliés, une pierre levée signale parfois la position de l’au-delà. La voix dynamitée, les nuages s’insurgent, éructant sous l’orage des propos incendiaires auxquels répondent les crépuscules en consumant le bleu comme autant de bûchers qui empourprent le ciel.
Il ne signera pas. Son nom n’y est pour rien. L’essentiel est dans le mouvement perpétué de la main qui pose les pigments dans le dénuement de l’énigme. Celle du geste initial, de la première trace répliquée sur la roche aux tréfonds de la terre.
C’était si peu, alors. La valse lente des étoiles, et le reflet du feu dans l’épaisseur de l’ombre. Et ce geste anodin, comme une main posée pour prendre appui. Une trace de cendre, d’argile ou bien de sang. Peut-être.
Ainsi du corps devenu image. Du geste devenu signe.
Il jette sur la toile la cendre créatrice, ignorant que sous le pinceau ardent se détachera la chair à vif du poème.

Irène Dubœuf, Brûler la cendre, recueil inédit

C’est un été de feu

C’est un été de feu.
Dans les vallées l’eau brûle
Entre les lèvres blanches de la terre.

Sous la touffeur du jour Bacchus
Féconde les collines quand un bruit
Terrifiant fait tressaillir son masque.
Un grondement funeste
Vibrant à mille lieux.

Les églises vacillent
Une lampe se brise
L’effroi tétanise le sourire des anges.

Dehors, le ciel est bleu.

Irène Dubœuf, Brûler la cendre, recueil inédit

Irène Dubœuf dispense, dès la page d’accueil de son site, la plus grande grande humilité : « Rapprochez-vous de la nature. Essayez de dire, comme si vous étiez le premier homme, ce que vous voyez, ce que vous éprouvez, ce qui est pour vous objet d’amour ou de perte. […] Si votre vie quotidienne vous paraît pauvre, ne l’accusez pas. Accusez-vous plutôt, dites-vous que vous n’êtes pas assez poète pour en convoquer les richesses. » C’est du meilleur augure et de Rainer Maria Rilke dans ses Lettres à un jeune poète. Sa biographie tient dans ses œuvres ainsi que des lectures qu’elle offre volontiers. Elle tient aussi à ses collaborations avec des plasticiens. Elle propose encore des ateliers d’écriture. Sa bibliographie déjà nourrie est belle à suivre, enrichie de quelques poèmes et des notes critiques dont ses ouvrages ont déjà fait l’objet. En la lisant, chacun peut : « Chanter à bras ouverts, aimer dans une étreinte de vent » et parfois il arrive, comme chez Michel-Ange, que « l’homme effleure le doigt divin ». Hervé Martin a noté : « La beauté de la nature, l’expression du désir d’y vivre se détachent dans Trityque de l’aube et s’opposent aux augures sombres, aux menaces, aux funestes temps à venir. Et même si le temps qui passe laisse ses griffures, le livre se termine sur la note optimiste du renouvellement de la vie ». Poète aux profondeurs étoilées, Irène Dubœuf mérite la plus grande attention. [P. P. 10 décembre 2015]

Hier : Didier Pobel, trois poèmes —>

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