Hervé Martin présente Jean-François Mathé, Possibles n° 4, revue de poésie en ligne [nouvelle série n° 3 – rédaction : Pierre Perrin]

De l’Inhabitant à La Vie atteinte
présentation de l’œuvre par Hervé Martin

Sobriété et discrétion, présence et nécessité intérieure… La poésie de Jean-François Mathé touche le lecteur par son écho qui retentit au plus juste de l’être. Écrite sur quatre décennies, la quasi-totalité de l’œuvre a paru aux éditions Rougerie. Elle fut distinguée par les prix Artaud, Kowalski et Guillevic. Depuis son premier livre, le poète n’a cessé de creuser un territoire intime. De L’Inhabitant, 1971, à La Vie atteinte, 2014, apparaît un cheminement impérieux tracé par le poète pour approcher la quintessence de sa nature humaine. Et les titres ne sont pas anodins : Instants dévastés ; Navigation plus difficile ; Corde raide fil d’eau… Le poète confronté à lui-même interroge son univers avec le langage, sa mémoire, ses mots, ses images. Habiter le monde, le percevoir au battement de ses veines, fut probablement l’horizon vers lequel le poète se projetait au seuil de son désir d’écrire. Avec la poésie au plus proche de l’être, Jean-François Mathé trouvera une réconciliation intérieure et un moyen d’être-au-monde.

Au regard de Poèmes choisis suivis de Chemin qui me suit, 2011, on peut aussi esquisser une trajectoire d’écriture. C’est en effet à partir de son sixième livre, Contractions supplémentaires du cœur que l’auteur dit entrer dans la maturité de son écriture. Une quinzaine d’années ont permis au poète de circonscrire son territoire poétique. Des thèmes se dégagent alors qui baliseront un cheminement vers des horizons à investir. Maintenant la mémoire offre son feuillage / en forme d’épaule claire et trouée. Poèmes aux formes libres, parfois versifiés, ou proses poétiques, le poète cherche des voies pour prendre parole au plus juste d’une émotion souvent subtile. Et c’est d’abord, fugace et fragile, l’enfance qui surgit, l’enfance s’estompe : Nous aussi avions enfance au terme de laquelle se profile un avenir incertain : Où disparaît l’espoir / se creuse un autre ciel. Pour le poète, le temps est une préoccupation majeure, l’épreuve du temps se joue / entre les murs où nous nous voyons / depuis longtemps sans miroir.   Le passé et ses souvenirs sont revisités quand le futur, perçu inquiétant, développera la conscience de la mort. Elle se révèle sous l’apparence d’un coup de feu tuant l’oiseau dans son vol. Et si elle ne semble ici que de peu de poids, ce n’est qu’au regard de la fragilité de la vie. Le poids de la mort à porter n’est plus que de plume. Elle est évoquée dans les poèmes de diverses façons et notamment par ces oncles aux rudes habitus, ils ont ainsi essayé leur cercueil, ont appris à le fermer du dedans.

L’absence des êtres chers façonnera aussi les poèmes d’une peine contenue révélant les silences : Et derrière les épaules d’hommes qui les emportaient, des épaules d’enfants portaient leurs silences. Le poète poursuivant sa voie s’interroge sur le destin funeste des hommes, savoir pourquoi tous les arrêts du pire ne sont / que provisoires dans cette vie comme une gare/… cependant que le doute l’habite : Peut-être est-il temps de mordre / à tous les fruits impalpables / qui n’ont que le soleil pour chair/… Ainsi, livre après livre, par son questionnement le poète se défait des oripeaux qui l’engoncent face à son désir de se sentir vivant. Mais je me voudrai encore plus / démuni Sa quête le conduit à une sérénité avec La vie  atteinte, qui marque aussi l’entrée dans la dernière période de la vie.

La poésie de Jean-François Mathé pourrait s’enraciner en ces vers : tu fus enfant le temps d’un rire / aussitôt tu as entendu l’automne où est soulignée l’aptitude de certains êtres à n’apercevoir dans le jour que la nuit qui progresse, à n’envisager de la vie que sa fatale issue. Mais le poète finira par atteindre sa plénitude par la juste distance prise avec le territoire de l’intime :
L’art du détachement, / il a fallu longtemps /pour le sculpter dans le cœur et le corps /
à l’image d’un arbre / qui n’a gardé que le vent pour feuillage. /…
L’œuvre de Jean-François Mathé reflète le parcours d’une vie, ce cheminement solitaire du poète de d’enfance jusqu’à l’âge de la maturité. Se succèdent, dans les livres, les êtres chers, l’enfance et son désenchantement, la conscience du temps et les beautés de la vie auxquelles il faudra renoncer. La poésie de Jean-François Mathé s’est édifiée dans le miroir intérieur des jours jusqu’à ce que l’homme et le poète ensemble atteignent une sérénité en prenant la pleine possession de leur existence.

Hervé Martin, étude inédite, 2015

Lecture de Lucien Wasselin —>

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