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- [Pour la B.N.F] ISSN : 2431-3971
Lucien Wasselin, Le Dur Désir de durer
ou La Mort dans la poésie de Jean-François Mathé
Jean-François Mathé n’a atteint l’âge propice au retour sur le passé que tardivement.
Il note dans l’avertissement à ses Poèmes choisis [1] n’être entré dans la maturité de sa poésie qu’à partir de Contractions supplémentaires du cœur [2]. Ce qui autorisera le signataire de ces lignes dans ce qui suit à s’appuyer sur cette anthologie et ses récents recueils. C’est avec beaucoup de délicatesse et de pudeur qu’il aborde l’idée de la mort dans ses poèmes qui sont exempts de toute complaisance…
Depuis toujours me hantent ces deux vers de Jean-François Mathé : « ses ailes à retremper / dans des bleus d’autrefois » [3]. Ils expriment une certaine nostalgie qui conjure la mort. Car la mort accompagne en permanence les poètes, comme les accompagne aussi « le temps terrible qui nous tient ». Ce “nous” fait partie du poème liminaire de ce recueil intitulé Le Ciel passant. Et il nous faut attendre le troisième poème pour que le mot mort apparaisse.
Si dès Contractions supplémentaires du cœur, il note : « Le vent se retire des / visages qu’il a défaits / et laisse leur désastre figé / comme photographié » ou, dans le poème “mes oncles” : « Pendant toutes les nuits de leur vie, ils ont ainsi essayé leur cercueil, ont appris à le fermer du dedans. / Et derrière les épaules d’hommes qui les emportaient, des épaules d’enfants portaient leur silence », c’est dans Le Temps par moments [1999] qu’il dit le plus durement la mort : « […] mais ses yeux sont restés ouverts, ont fixé les nôtres, pour nous prouver que malgré notre impuissance il nous préférait aux dieux » [Sur la mort d’un chat]. Mais c’est pour aussitôt ajouter, parlant de la femme aimée : « Nous deux sauvés, hissés ensemble à bord du temps qui reste à vivre ». Oui, le dur désir de durer…
Si dans Agrandissement des détails, un biais est utilisé pour dire la mort dans ce qu’elle a de cruel et d’inéluctable – « Du visage on a laissé partir le regard. / On a fermé les paupières pour qu’il ne revienne pas » [4], dans Chemin qui me suit, le poète avoue : « Et c’est ainsi que l’eau, une fois encore, / ne traverse notre soif que pour la renouveler ». Plus loin, dans le même recueil, il ajoute : « Le chat s’en va comme pour ne pas voir / que je vais vaciller / que les feuilles de mon souffle / vont tomber au pied / de l’arbre que je croyais être » [5]. Tout est alors dit, l’espoir et l’acceptation de la fin et la révolte, dans la même contradiction. Même si Jean-François Mathé ne manque pas de remarquer : « Chaque ami qui meurt / désigne sur ma poitrine / un nouvel endroit / où poser une pierre ». Au-delà de l’étonnement d’encore vivre du poète, le lecteur s’interrogera sur le sens de la vie. Peut-être la réponse se trouve-t-elle dans La Vie atteinte : « J’attendrai comme une autre vie / la simple suite de la mienne » [6]…
Mais cette prescience de la fin inéluctable dont la forme reste inconnue (même si, le temps passant, elle se précise peu à peu) ne va pas sans ce que Paul Éluard appelait « le dur désir de durer » [7]. Car la vie n’est jamais atteinte : il y a toujours à écrire. À explorer ce que disent ces quatre vers de La vie atteinte : « Inquiète, la main vérifie / que mon sommeil n’est pas la mort, / que ma vie poursuit son effort / sans savoir ce qu’il signifie » [8]. Jean-François Mathé est, au meilleur sens du terme, un veilleur.
Lucien Wasselin, étude pour ce n° 4 de Possibles, décembre 2015.
Notes. [1] In Chemin qui me suit, Rougerie, éditeur, 2011, p 9 ;[2] Rougerie éditeur, 1987 ;[3] In Le ciel passant, Rougerie éditeur, 2002, p 9 ;[4] In Agrandissement des détails, Rougerie éditeur, 2007, p 12 ;[5] In Chemin qui me suit, Rougerie éditeur, 2011, p 72 & 81 ;[6] In La Vie atteinte, Rougerie éditeur, 2014, p 74 ;[7] Paul Éluard, Le Dur Désir de durer,1946, in Œuvres complètes, Bibliothèque de la Pléiade, 1968, tome 2, pp 65-84 ;[8] Rougerie éditeur, 2014 ; p 72.